Journal du dimanche 18 mai 2014
Ce matin à 5h50 nous avions rendez-vous avec le satellite Sentinel mais nous l’avons loupé de plusieurs milles …
La météo ne nous aide pas hélas…
Patrick « Ce matin je n’ai pas le moral. Suite au démâtage du Guyavoile nous avons beaucoup moins de temps pour nous rendre dans le gyre et les protocoles avec les satellites deviennent compliqués : l’expédition devient une course contre la montre. De plus notre capacité en gasoil est moins importante que notre bateau précédent et nous sommes obligés de progresser aux moteurs, le vent n’étant pas avec nous. Mon inquiétude de ne pas avoir assez de temps et de carburant pour sillonner la zone comme prévu. Je sais, avec mon expérience dans les expéditions, que rien ne se passe comme prévu, mais cela serait frustrant de faire demi-tour aux porte du gyre. Ma chance, c’est d’être entouré d’une équipe au moral d’acier, et dès que le doute s’installe en moi, ils sont là pour le chasser aussitôt. Merci à eux ».
8h30 : Sur notre route nos croisons de plus en plus de sargasses. L’équipe se regroupe sur le pont pour les observer. Puis un, puis deux, trois, quatre morceaux de plastiques…
Ils sont piégés dans les grappes d’algues, filets, cagettes, corde en nylon etc…
Les manips de prélèvements au filet Manta ont confirmé nos constatations.
Nous avons obtenu des concentrations importantes de plastiques en petits morceaux, entremêlés dans des bouts d’algues. Depuis le début des manips il y a 3 jours, la présence de plastiques se fait de plus en plus forte. Nous avons remis le filet à l’eau dans l’après-midi et encore repris des microparticules de plastique en grande quantité.
Cet après-midi, nous sommes tombés sur une veine de courant, transportant de nombreux déchets assez près les uns des autres, au cœur d’une mer d’huile d’un bleu marine profond ! La différence avec les jours précédents est saisissante ! Après des jours en mer sans croiser un seul macro-déchet, nous voilà à essayer d’attraper flacons, seaux étiquetés « green concept » ( !!!), palette, casque de chantier, tôles en plastique et autres objets … C’est comme une sorte de pêche aux canards version grandeur marine ! L’excitation de toute l’équipe est à son paroxysme mais même si nous avons envie de tout ramasser, nous devons aussi avancer le plus possible vers le gyre, pressés par le temps. Le spectacle a en fait quelque chose de désolant, de déprimant et même décourageant, nos sentiments sont mitigés, mais l’envie de concrétiser notre mission prend le dessus.
Alexandra fait de nombreux prélèvements de plastiques qu’elle congèle, afin d’en analyser le biofilm (génétique ou microscopie électronique) une fois de retour au labo : le biofilm est le film bactérien qui se développe à la surface des plastiques immergés dans l’eau.
La plupart de ces objets abritent une faune abondante, au milieu de ce semblant de néant marin ! Nous avons pu voir des dorades coryphènes énormes, laissant partir à regret leurs abris de fortune.
Chaque objet en mer (algues comprises), sert d’abri et de support à une petite faune, permettant de recréer un écosystème et attirant ainsi des poissons plus gros. C’est le principe des Dispositifs de Concentration de Poissons (DCP), installés pour et par les pêcheurs professionnels. De nombreux récits de naufragés ayant passé plusieurs mois en mer sur un radeau de fortune témoignent de ce phénomène : ils se retrouvent accompagnés d’une faune variée et parfois aussi d’animaux marins en haut de chaine alimentaire, comme les requins. On pourrait penser que du coup les déchets c’est fantastique et ça fait des maisons pour les poissons, mais malheureusement la réalité est bien plus sombre. Pollution, transport d’espèces envahissantes, décès d’animaux par ingestion de plastiques (voir journal de bord du 16 mai)… compensent finalement largement ce côté qui pourrait sembler positif.
Nous avons attrapé un poisson dans notre épuisette, en même temps que le déchet que nous convoitions !
Il faut avancer encore plus loin pour tomber sur ces tapis de sargasses de plusieurs mètres carré qui enferment les rejets de notre consommation.
Notre persévérance a payé, nous sommes tout près du 7ème continent !
Ce soir, la mer est étrangement calme…une grosse dépression rôde plus loin dans le Nord. Nous restons vigilants.